L'agilité c'est sérieux
Avec sa définition du sérieux, Jankélévitch nous invite à l'action ici et maintenant.
Je viens de voir Un métier sérieux au cinéma.
J’avais lu pendant l’été Un été avec Jankélévitch de Cynthia Fleury. Dans les vertus présentées, figure le sérieux, ce qui m’avait étonné.
Est-ce que ce sérieux là, qui est aussi celui du film, s’applique à l’agilité ?
C’est l’idée de cet article de considérer que l’agilité doit être prise au sérieux, sinon elle conduit au faux agile.
Le sérieux selon Jankélévitch
Le sérieux c’est donc ce qui relie l’homme à son obligation de résistance, à son impossibilité de ne pas se confronter au réel, à son refus de fuir sa responsabilité, écrit Cynthia Fleury.
Mais le sérieux, à l’inverse du soucieux, n’est jamais passif, précise Jankélévitch :
Dire qu’on s’engagera, c’est verbal. S’engager et le faire, ça c’est sérieux.
Le manque de sérieux est chez lui une insulte suprême.
Skin in the Game
Avec l’attentat terroriste d’Arras et 3 ans après l’assassinat de Samuel Paty, professeur, on peut considérer professeur comme un métier sérieux, où en plus on risque sa peau.
J’ai fait le rapprochement avec Skin in the Game. Un professeur, un enseignant en général, il joue sa peau pour reprendre le titre du livre de Nassim Nicholas Taleb que nous avions traité dans un klub de lecture en 2018 :
Je ne sais pas si Taieb a lu Jankélévitch — qui a véritablement risqué sa peau en étant résistant pendant la guerre 40. On retrouve chez les deux le mépris pour ceux qui conseillent ou décident sans être impliqués dans l’action.
On devrait cesser d’écouter ceux qui parlent (sans jouer leur peau) au lieu d’agir1, disent-ils. Voyons comment cela peut s’appliquer à l’agilité.
L’agilité pas sérieuse
Être sérieux, c’est d’abord prendre au sérieux, dit Jankélévitch. Il me semble que l’agilité n’est pas toujours prise au sérieux par ceux qui la recommandent.
Quand on affiche les valeurs de l’agilité mais qu’on conserve des principes opposés, quand on confine l’agilité aux développeurs, quand on ne prend de l’agilité que ce qu’on considère comme des bonnes pratiques sans suivre les principes fondamentaux, quand on se dit agile en appliquant SAFe ou juste parce qu’on fait des stand up, on n’est pas sérieux.
Le sérieux est parfois ennuyeux. Dans le domaine de l’agilité, nous avons beaucoup fait pour éviter de passer pour ennuyeux en développant le côté ludique des formations et animations.
Nous avons utilisé ou créé plein de jeux pour cela. La plupart sont effectivement sérieux (au moins dans l’appellation de serious games) mais parfois cela est allé trop loin. Un icebreaker ou un jeu agile sans une arrière-pensée sérieuse — au sens que nous lui donnons — n’est que de la pitrerie.
David Graeber parle dans “Possibilités” des “plaisanteries” comme une pratique sociale moquant la hiérarchie et d’un autre côté des “évitements” pratiqués par les supérieurs pour maintenir leur pouvoir sur les échelons inférieurs. Le sérieux serait de moins plaisanter et de moins éviter, mais plus de s’écouter pour coopérer, cohabiter dans la bonne humeur2.
L’agilité sérieuse
Prendre l’agilité au sérieux, c’est avoir la détermination d’aller jusqu’au bout3, d’une part en profondeur jusqu’à l’action avec les boucles de feedback et d’autre part en largeur avec l’auto-organisation de toute l’équipe.
Le sérieux c’est l’inverse du dogme - Cynthia Fleury.
L’agilité est empirique et même pragmatique, étroitement liée à l’expérience, elle demande d’être actif, de la discipline, de la prise de décision, du vouloir. C’est en ce sens qu’elle est sérieuse.
La photo de Jankélévitch (on la voit dans les listes où figure l’article) vient de Wikipedia.
Jean-Pascal ajoute en commentaire : Les agents du changement jouent leur peau dans la diminution des distances horizontales et verticales pour plus de responsabilité et d’engagement au sein des équipes, là où les organisations ont encore le réflexe de la division du travail et de l’échelonnage hiérarchique des responsabilités. ↩︎
Un ajout de Jean-Pascal qui est en train de lire Possibilités (moi aussi). ↩︎
Tiens, cela est aussi l’intention de l’agilité radicale ça ! ↩︎